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La première de son dernier long-métrage « Fanta Fanga » est programmée pour septembre prochain
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La triste nouvelle a été accueillie avec une grande émotion par les Maliens et tous les cinéphiles : le décès du cinéaste Adama Drabo qui s’est éteint mercredi dans l’après midi à l’hôpital du Point G. Il faisait partie des trois grands réalisateurs de notre pays après les deux monstres sacrés que sont Souleymane Cissé et Cheick Oumar Sissoko. Son entrée dans le cercle fermé chez nous, des cinéastes qui ont réalisé un long métrage s’est fait de manière fracassante en 1991 avec le «
Ta Dona ». Une première œuvre qui, disait-on, lors du Festival panafricain du cinéma et de l’audiovisuel de Ouagadougou (FESPACO) de cette année, était venue « mettre le feu aux prix », en référence au titre du film qui signifie littéralement « Au feu ! » en langue nationale bambara. Le film remporta une dizaine de prix spéciaux et le prix Oumarou Ganda du palmarès officiel. Un prix qui récompense la meilleure première œuvre. La presse qui ne tarissait pas d’éloges pour le film estima même que c’est « Ta Dona » qui méritait la récompense suprême de « l’Etalon du Yennenga ».
Cet énorme succès valut au cinéaste de nombreuses invitations dans les grands festivals de cinéma en Europe. Ce genre de succès monte généralement à la tête. Mais tel ne fut pas le cas avec Adama Drabo. « Je continue toujours de prendre plaisir à écrire la nuit pendant que tout le monde dort, et à la lueur de ma petite lampe à pétrole dans un coin de ma concession », dit-il un jour. En effet, enseignant de formation et de profession, Adama Drabo a aussi écrit de nombreuses pièces de théâtre, notamment pour des troupes de la Biennale artiste et culturelle. C’est d’ailleurs dans le prolongement de cette activité dramatique qu’il est venu au cinéma.
Quand les médecins de l’hôpital
Grabriel Touré refusèrent qu’il tourne quelques séquences de « Kokadjè» dans les locaux de cet établissement, Adama Drabo eut ces mots qui en disaient long sur sa compréhension de la mission du cinéaste : « Vous les médecins, vous soigner le corps humain pour le guérir des maladies, nous les cinéastes soignons la société elle-même pour l’aider à endiguer ses travers ».
La nouvelle de la disparition de Adama Drabo a soulevé une grande émotion à Alger où se déroule actuellement le 2è Festival panafricain de la culture et où de nombreux réalisateurs africains sont présents. A commencer par nos compatriotes. Ainsi Kadiatou Konaté qui a travaillé avec lui lors du tournage de « Taafé Fanga », témoigne : « il m’a traité avec beaucoup de respects et de confiance. C’était une personne très compréhensive et très sympathique. Son unique souci était de continuer à faire des films. Des œuvres qu’il cherchait toujours plus à améliorer ».
Selon elle, Adama Drabo a accordé une grande importance aux rôles de la femme dans notre société. Dans tous ses films, il a cherché à magnifier la femme. Dans « Kokadjè », l’actrice principale qu’est Sogolon, est une femme très respectée au sein de l’Assemblée nationale. « Taafé Fanga » lui a permis de donner le
pouvoir aux femmes. Elles l’exercent jusqu’au bout, puis estiment qu’il faut revenir à l’ordre normale des choses. C’est-à -dire que l’homme demeure le chef de famille. « C’était un homme de passion, pas de tension », conclut Kadiatou Konaté réalisatrice du film d’animation « L’enfant terrible » et du documentaire « Mirage jaune ».
Moussa Ouane, réalisateur et directeur du Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM), était d’abord effondré quand il a appris la mauvaise nouvelle en provenance de Bamako. Il a mis des heures afin de pouvoir parler d’Adama Drabo. « Il ne verra pas la première de son dernier long-métrage « Fantan Fanga », ou le pouvoir des pauvres qui est programmé pour le mois de septembre. C’est un réalisateur qui avait sa personnalité et une touche personnelle. La cohérence et la logique caractérisaient sa démarche, tant dans sa vie que dans ses œuvres. Après l’étape des courts métrages, Drabo avait un plan de création », note Ouane. Cela a commencé par une trilogie dont il était à la deuxième œuvre : « Fantan Fanga » (pouvoir des pauvres), après « Taafé Fanga » « pouvoir de pagne ».
Les réalisateurs africains présents Alger ont décidé de publier un communiqué, pour rendre hommage à ce grand du cinéma mal
ien et africain.
Né en 1948 à Bamako, Adama Drabo s'intéresse très jeune au cinéma. Mais il lui faudra emprunter des chemins de traverse pour réaliser son rêve. En 1960, l'heure de l'indépendance du Mali sonne et le pays manque d'instituteurs. Le futur réalisateur répond à l'appel du gouvernement en enseignant pendant dix ans dans les villages. Il servit entre 1968 et 1979 successivement comme instituteur à l'école de Karaya (Région de Kayes) puis comme directeur de l'école de Koyo (Région de Koulikoro). Cette période qui lui permettra de peindre et de développer ses talents de dramaturge en écrivant des pièces de théâtre, dont « Pouvoir de pagne » en 1983. Son entrée au Centre national de production cinématographique (CNPC) en 1979 lui permettra d'accéder à son rêve d'enfant : devenir cinéaste. Il travaille avec le réalisateur Cheick Oumar Sissoko comme assistant réalisateur sur le tournage du film « Nyamanton » (1986). En 1988, il tourne un moyen-métrage, « Nieba, la journée d'une paysanne, avant une nouvelle collaboration avec Cheick Oumar Sissoko pour le long métrage Finzan (1989. Et c'est en 1991, qu'il réalisera, enfin son premier long-métrage Ta Dona (Au feu !). Cette œuvre sera remarquée au Festival international du film de Locarno et primée au FESPACO 92. En 1997, Adama Drabo réalise « Taafé Fanga » primé dans différents f
estivals (Festival de Cannes, Tokyo, Ouagadougou et Namur).? Adama est chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres de la République Française. Il laisse derrière lui une veuve et 7 enfants. Il a été accompagné hier dans sa dernière demeure au cimetière de Magnambougou par une foule nombreuse de parents, d'amis et de collaborateurs.
Y. DOUMBIA et M KONATE
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