Navigation fluviale : LEVEZ L’ANCRE !
l'Essor n°16530 du - 2009-09-18 08:00:00


Les pinasses font une concurrence rude aux bateaux de la Comanav
Les navires de la Comanav font voyager un grand n ombre de passagers et du fret
Il est 21 heures. L’embarcadère de Koulikoro a l’allure d’un petit marché de nuit. Des gargotières et des vendeuses d’articles divers proposent leurs produits à une foule
de voyageurs et d’accompagnateurs, sous des lampadaires à la lumière jaune. Des dockers portent des bagages préalablement pesés dans un grand bâtiment. Un peu plus loin, le chef d’escale de la Compagnie malienne de navigation (Comanav), Naremba Kouyaté, dirige les opérations dans un vaste bureau chichement meublé. Il reçoit les clients pour les formalités du voyage. La plupart sont des femmes. «Ce sont des habituées. Nous transportons leurs marchandises vers les villes du Nord du pays», précise Naremba Kouyaté.
Pendant qu’il appose son visa sur le papier d’une dame, un jeune français pénètre dans le bureau et demande de changer son ticket de première classe donnant droit à l’un des lits d’une cabine. Mathias, c’est son nom, souffre de claustrophobie. «Je ne peux pas rester dans un espace restreint. Je vais dormir sur le pont. Je possède une20moustiquaire», explique-t-il au chef d’escale qui lui assure qu'il pourra dormir dehors sur le pont. Il renonce à changer son ticket.
La compagnie propose à ses clients des cabines de luxe climatisées où il y a soit un grand lit soit deux lits jumeaux. En plus des 3 repas quotidiens à bord, les occupants de ces cabines disposent d’un balcon sur le pont supérieur. Ils doivent débourser 302.500 Fcfa pour un voyage de Koulikoro à Gao. Les cabines de première classe se situent sur le deuxième pont. Pour les occuper de Koulikoro à Gao, il faut payer 160.500 Fcfa. En première classe, les 3 repas à bord sont assurés. Tout comme les 2è et 3è classes où les passagers paient respectivement 114.500 Fcfa et 67.500 Fcfa. Les voyageurs de la 4è classe se prennent en charge au cours du voyage et occupent le pont inférieur auquel on accède directement en montant dans le bateau par une passerelle étroite, munie de garde-fous.
Le pont inférieur est un véritable capharnaüm. Des familles entières ont étalé leurs matelas sur les petits espaces entre les sacs de marchandises entreposés jusqu’au plafond. Il faut avoir souvent des talents en saut en longueur pour se frayer un chemin. Cela ne semble pas gêner la nuée d’enfants qui a envahi le bateau juste avant le départ. Ils se faufilent dans les interstices du navire, en poussant des cris de joie et en riant aux é clats. «Ma mère vend à manger ici. A chaque départ, je viens avec des amis pour visiter le bateau», confie un petit garçon.
Ce jeudi soir, c’est le bateau Général Abdoulaye Soumaré qui est de service. Le navire porte bien ses 45 ans. Même si, par endroits, des «rides» trahissent son âge avancé. Le premier avertissement sonore provoque une ruée des enfants et des accompagnateurs hors du navire. Une quinzaine de minutes plus tard, le deuxième coup de klaxon donne le signal du départ. Le bateau lève l’ancre après avoir replié sa passerelle. Il s’éloigne lentement de la berge et gagne le large en mettant le cap sur l’Est.
Sous un ciel sans lune, mais constellé d’étoiles et barré par la voie lactée, le navire fend, à vitesse lente, les eaux jaunâtres du Djoliba. Le silence de la nuit est déchiré par le bruit des 3 moteurs du bateau. En vitesse de croisière, le vieux bâtiment se traîne à 10 km à l’heure. Sur le pont supérieur, pas âme qui vive. «Les voyageurs ont regagné leurs cabines», renseigne le cuisinier Souleymane qui émerge de la salle à manger pour emprunter l’escalier menant aux ponts inférieurs. Le deuxième pont est grouillant de monde. Des hommes et des femmes, de tous les âges, font des va-et-vient. Certains sont accoudés au bastingage pour profiter de l’air frais. Ici, les voyageurs occupent les cabines à plusieurs. Ils disposent de lits de camp superposés. Ce sont des commerçantes et quelques élèves et étudiants en partance pour leurs villages. Il y a aussi des ressortissants du Nord vivant dans des pays voisins. Sans compter les saisonniers qui quittent Bamako pendant l’hivernage pour rejoindre leurs localités.

En plus des passagers, le bateau transporte des centaines de sac de riz, de mil, d'orange, et divers autres produits agricoles
DANS L’OBSCURITE. Ce bateau peut transporter 100 tonnes de fret et 300 à 400 personnes. Mais au départ de Koulikoro, il est loin de faire le plein de passagers. «Le gros de notre clientèle était constitué d’élèves et étudiants, de fonctionnaires et de militaires.
Tous bénéficiaient de réquisitions. Cette année, le transit administratif a arrêté de délivrer les réquisitions. C’est20pourquoi nous n’avons pas beaucoup de monde», explique Cheick Tall, le commissaire du bateau. Il ajoute que la poignée de touristes étrangers qui prend le bateau à chaque voyage, descend généralement à Ségou, Mopti et Tombouctou, les pôles touristiques. Le Français Mathias est étudiant. Il est en route pour le Togo où il va travailler dans un orphelinat pendant quelques mois. «Je visite quelques pays de l’Afrique de l’ouest avant d’arriver à destination», confie le jeune français qui est passé par le Sénégal. Il va traverser le Mali et le Burkina Faso pour se rendre au Togo. Mathias a rencontré Alberto à Koulikoro. Avec ce jeune espagnol, il a lié amitié. Les deux sont devenus des compagnons de route. «J’ai prêté mon matelas à Mathias qui ne peut pas dormir dans la cabine», explique l’Espagnol qui ne se sent pas très bien dans la cabine. «Il fait chaud. J’aurais aimé dormir sur le pont», témoigne-t-il.
Une compatriote accompagnée de son petit garçon, ainsi qu’un homme d’âge mûr, font aussi partie du voyage. Ils sont en vacances. «J’ai vu la publicité à la télé. Ça m’a plu. Comme je suis en congé, j’ai décidé de faire le voyage», confie la fonctionnaire de police. Quant au monsieur, il n’est pas à son premier voyage par bateau. «Je vais fair e l’aller-retour de Koulikoro à Tombouctou. C’est très reposant», témoigne-t-il.
Toute la nuit durant, le bateau a navigué sans encombres. Il slalomait en décrivant des arcs de cercle entre les îlots qui trouent, à maints endroits, le ruban jaune clair du fleuve. Dès fois, le navire vient titiller la berge. «Nous passons par les endroits profonds du fleuve pour éviter les échouements», explique le pilote, Wodjé Traoré qui est chargé de conduire le navire à bon port, épaulé par deux assistants. Curieusement, il n’utilise pas les puissants projecteurs du bateau pour éclairer son chemin. «Nous les allumons seulement pour nous assurer de l’emplacement des balises qui signalent la présence de rochers sous l’eau. Nous préférons naviguer dans l’obscurité», expliquent les pilotes dans une cabine de pilotage plongée dans le noir. «Vous devez éviter d’allumer la lumière ici», lancent-ils à l’endroit des visiteurs du poste de pilotage situé à l’avant du navire sur le deuxième pont. Ils évitent en fait d’utiliser la lumière pour que leurs yeux s’habituent à l’obscurité. Ils se relaient toutes les 6 heures aux commandes du navire. Les trois hommes comptabilisent plus de 20 ans de service dans le bateau. «Nous avons commencé comme matelots avant d’apprendre à piloter sur le tas», révèlent-ils.
Au petit matin de vendredi, à hauteur du petit village de Fansongo, à quelques encablures de la ville de Ségou, une violente tempête oblige le bateau à accoster. Ballotté par le vent, le navire vient heurter violemment la berge abrupte. De nombreux passagers émergent du sommeil et se précipitent à la rambarde pour voir ce qui se passe. «S’ils ne nous avertissent pas, ils vont nous flanquer la frousse», s’écrie Souleymane en se précipitant de la salle à manger. Pendant ce temps, les matelots essaient d’amarrer le navire à un manguier. Ils y parviennent à l’aide d’un câble métallique qui ne résiste pas longtemps au tangage du bateau. Ils attachent finalement le bâtiment avec une solide corde en nylon. "En cas de tempête, le bateau doit accoster. On s’arrête parce que le navire est léger. C’est dangereux de naviguer par mauvais temps», explique le commissaire Tall.
Le vent violent menace d’emporter leurs couvertures et leurs nattes. Mais des passagers s’entêtent à rester sur le pont. Le commissaire du bateau vient les obliger à intégrer leurs cabines. «Vous ne voyez pas le vent ? Rentrez dans vos cabines. Je veux pas de problème.» Le problème, le commissaire a failli en avoir à cause de l’imprudence d’un petit garçon. Inconscient du danger, il a escaladé la rambarde. «Je suis allé voir son maître coran ique pour lui dire que si le garçon refait une telle chose, je les fait débarquer», tonne le commissaire Tall qui ne cache pas sa colère. Responsable du bateau, il inspecte régulièrement les différents compartiments pour s’assurer que tout va bien. Il reçoit aussi les réclamations et les remarques des passagers. «Tall, votre première classe manque de confort par rapport au tarif», relève la policière. «Le système de climatisation est en panne. Nous sommes en train de chercher la pièce qui manque. Et puis, ce sont les premiers voyages, tout n’est pas encore au point», réconforte le commissaire du bateau.
A l’arrivée à Ségou aux environs de 10 heures, il y a foule au quai pour attendre le bateau. A peine débarqués, les touristes sont pris en chasse par des vendeurs de souvenirs très accrocheurs. Des négociants d’articles divers essaient de trouver des clients parmi les voyageurs qui s’apprêtent à embarquer. L’arrêt doit durer une heure. Plusieurs passagers ont fait une virée en ville. La cité des Balanzans a été arrosée par la pluie durant la nuit. Les rues sont boueuses. Qu’à cela ne tienne ! Alberto tient à voir un bout de la ville. Il n’hésite pas à patauger dans la boue. «Je suis venu pour vivre les réalités du pays», confie-t-il, le sourire aux lèvres.
Le commissaire Tall a passé le=2 0relais du commandement au chef d’escale de Ségou. «C’est le chef d’escale qui gère le bateau à l’arrêt. Le commissaire reprend son pouvoir quand le bateau quitte l’embarcadère», révèle Souleymane, le cuisinier. Le général Soumaré appareille pour quitter Ségou après avoir reçu dans sa cale et sur ses ponts des dizaines de sacs de riz, de mil, d’oranges, et divers autres produits agricoles. Et même des chevaux. Le commissaire Tall a repris entre-temps son bâton de commandement. Il laisse entendre qu’habituellement, le fret prend du volume à partir de Ségou et Mopti. Il déplore le fait qu’actuellement ce n’est plus tout à fait le cas. La Comanav fait face à la concurrence rude des pinasses. Il croit savoir que les intermédiaires préfèrent donner du fret aux piroguiers pour empocher de substantielles commissions. Entreprise étatique, la Comanav ne peut pas suivre dans la course aux remises accordées aux coxeurs. Cheick Tall révèle que même les services publics et les Ong ont recours au service des pirogues au détriment de la Comanav. «En dépit du risque élevé des pertes de bagages par suite de naufrages, beaucoup ont recours aux pirogues. Or même les assurances refusent d’assurer les pirogues», déplore-t-il. De même que la perte par la Comanav du marché de transport des militaires en partance et de retour du Septen trion. Il ne comprend pas pourquoi les marchés de l'État ne reviennent pas à la Comanav.
A partir de Niafunké jusqu’à Bourem, indique notre interlocuteur, le bateau et les pirogues constituent les principaux moyens de déplacement. C’est pourquoi pendant la période des hautes eaux, au cours de laquelle les grosses embarcations peuvent circuler sur le fleuve, les habitants des zones enclavées font des stocks de céréales et des autres produits de grande consommation. La campagne de navigation de la Comanav dure de fin juillet à la mi-novembre entre Koulikoro et Gao. A partir de la mi-novembre jusqu’en janvier, les navires peuvent circuler entre Mopti et Gao. Les bateaux font escale dans une vingtaine de localités le long du fleuve Niger, facilitant la circulation des personnes et des biens dans cette partie du pays, enclavée à la fois par le manque de routes et la multiplicité des cours d’eau.
VILLAGE FLOTTANT. En aval de Ségou, le fleuve Djoliba entame un virage à droite, formant une boucle où les plaines arrosées par de nombreux affluents et lacs. Des terres vertes et plates comme une main s’offrent à la vue des voyageurs. Les périmètres rizicoles côtoient les zones exondées où les populations font pousser de nombreuses autres spéculations agricoles. C’est aussi une zone de pêche par exce llence. De nombreuses pirogues de pêcheurs croisent le bateau en longeant la berge.
A bord du bateau, beaucoup de nouveaux passagers ont embarqué. Tous les ponts sont occupés. Même le pont supérieur n’est pas épargné. De nombreuses familles y campent, bravant le soleil pendant le jour et la fraîcheur au cours de la nuit. Dès que le soleil disparaît derrière l’horizon, des moustiquaires se tendent pour parer aux attaques des moustiques pendant les escales. «Il n’y a pas de moustiques à bord quand le bateau navigue», assure le commissaire Tall. Les bestioles trouvent refuge sous les bagages pour échapper à la brise fraîche qui balaie le navire pendant qu’il se déplace.
Vendredi au crépuscule, des passagers se sont retrouvés spontanément sur le pont supérieur pour scruter le ciel à la recherche du croissant lunaire du Ramadan. Ils ne mirent pas longtemps à découvrir la lune. Il faut dire que le poste d’observation s’y prête bien. En plein milieu du fleuve, la vue est imprenable sur l’horizon. Les plus âgés ont commencé à se souhaiter un bon mois de carême. Dans une ambiance quasiment familiale. A bord du bateau, la proximité finit par créer des liens d’amitié entre les occupants. Certains passagers apprécient cette ambiance conviviale. «Le voyage en bateau est vraiment agréable. On rencontre beaucoup de gens. On se fait des amis. L’ambiance est familiale. J’aime ça», lance notre fonctionnaire de police. Elle regrette qu’au moment où on commence à s’habituer les uns aux autres, on doive se séparer. Le commissaire Tall confirme le rôle de brassage du bateau. «C’est un petit village flottant. Beaucoup de gens se sont rencontrés ici et ont fini par se marier. Des contacts durables ont été noués.»
Le Général Soumaré arrive à Mopti samedi en fin de matinée. Il passe toute la journée à quai et n’appareillera qu’à 20 heures. L’escale de Mopti est plus longue. Les raisons ? Ici, beaucoup de passagers et de fret attendent le navire. Leur embarquement prend beaucoup de temps. En plus, le bateau doit attendre 20 heures pour lever l’ancre afin de ne pas atteindre le lac Débo pendant la nuit. «Si nous quittons Mopti à 20 heures, nous arrivons au lac Débo au petit matin le lendemain. Nous pouvons le traverser sans problème pendant le jour. Si on entre dans le Débo en pleine nuit, on risque de se perdre. Il nous est arrivé des fois de passer toute la nuit à tourner en rond dans le lac», explique Cheick Tall.
A 20 heures 30, le Général Soumaré quitte l’embarcadère de Mopti. En moins d’une quinzaine de minutes, il a disparu de la vue des personnes restées à quai, avalé par l’obscurité.

B. TOURE
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