Le
président Amadou Toumani Touré nous livre dans une interview exclusive
sa vision de la crise ivoirienne. Avec sa double lecture de militaire et
de civil, à la tête d’un pays frontalier avec la Côte d’Ivoire, il
espère que la solution militaire sera évitée.
« Il est effectivement question d’une option militaire
envisagée par la Cedeao, mais même à la Cedeao, tout le monde espère
qu’on trouvera une solution qui ne soit pas militaire. Cette solution
n’est donc pas privilégiée. Elle n’est pas souhaitée. Elle n’en est pas
moins étudiée, mais j’avoue qu’au fond de nous-mêmes, chacun souhaite
qu’on n’y arrive pas. Il nous faut donc travailler dur pour qu’elle
puisse ne pas être mise en œuvre. »
Sans langue de bois, le locataire du Palais de Koulouba
répond sur tout, y compris sur la gestion régionale de la lutte contre
AQMI, ses relations particulières avec l’Algérie et, bien évidemment,
l’éventualité d’un troisième mandat en 2012 brandie par quelques
militants zélés.
ATT ne craint rien
Amadou Toumani Touré est un président préoccupé, mais
serein. Crise ivoirienne, AQMI, fin de son mandat sont abordés avec la
même tranquille détermination que confère une logique bâtie sur la
simplicité désarmante des évidences. Cette sérénité sourd de tout le
Palais de Koulouba qui domine depuis la colline du pouvoir la capitale
Bamako. Ici, pas de portique de sécurité, pas de fouille des visiteurs,
pas de portables confisqués. Pas cette phobie sécuritaire si fréquente
sous nos cieux. ATT ne craint rien.
Dans un entretien exclusif à Les Afriques, le 21
janvier, ATT assène ses évidences sur les crises majeures auxquelles il
doit faire face.
Les Afriques : Monsieur le
Président, la presse ivoirienne fait état de l’invitation que vous avez
faite au président Gbagbo de prendre part au sommet de l’Uemoa.
Qu’en est-il exactement ?
Amadou Toumani Touré : Il
faut d’abord dire que les invitations ne sont pas faites par le Mali.
Elles sont faites par le président en exercice de l’organisation qui
accueille le sommet. Le Mali est par ailleurs libre d’inviter qui il
veut. Mais dans ce cas, c’est la réunion elle-même, si je puis
m’exprimer ainsi, qui invite.
Cela dit, l’invitation qui a été faite au président
Laurent Gbagbo l’a été il y a près de six mois déjà, quand la date de la
réunion avait été fixée. Et ce n’est pas le président Gbagbo qui avait
été invité spécifiquement, mais le président de la République de Côte
d’Ivoire, pays membre de l’Uemoa, comme tous les autres chefs d’Etat.
Toutefois, il faut bien que leurs noms figurent dans les invitations, mais ce sont les pays qui sont invités.
L’invitation a donc été faite bien avant les événements.
Il y a six mois, personne ne pouvait penser que nous allions nous
retrouver dans la crise que nous vivons aujourd’hui, avec ce qu’elle
comporte de difficultés.
LA : Monsieur le Président, est-ce que vous voyez une issue à la crise ivoirienne ?
ATT : Nous sommes obligés
de trouver une issue à cette crise. Nous sommes obligés parce que la
Côte d’Ivoire est extrêmement importante pour nous. D’abord par sa place
dans notre organisation. L’Union économique et monétaire
ouest-africaine (Uemoa) est une très bonne organisation à maints
égards : monnaie, transports, convergence économique.
Nous avons fait d’énormes progrès dans tous ces
domaines. Et c’est à ce moment où nous commençons à capitaliser tout
cela que cette crise survient. Nous ne pouvons pas perdre tout cela. Or,
quel que soit ce qui va se passer, perdre la Côte d’Ivoire, ce que nous
ne souhaitons pas, serait très négatif pour toute la région.
« En tant que général, je pense que ce ne sera pas aisé.
J’ai rencontré les différents chefs d’étatmajor et j’ai vu toutes les
contraintes pour une solution militaire. Elles sont extrêmement
importantes. »
LA : La nécessité veut que cette
crise soit résolue, mais vous-même quelle solution voyez vous ? Une
option militaire est envisagée et les chefs d’état-major de la Cedeao la
disent faisable. Vous êtes militaire, vous semble-t-il possible de la
mettre en oeuvre avec un coût humain supportable ?
ATT : Je voudrais qu’on
continue à se parler. Mon expérience personnelle en tant que médiateur
dans plusieurs crises en Afrique de l’Est, notamment en tant qu’homme
politique confronté à des difficultés que j’ai eues à gérer dans mon
pays, me conduit à penser qu’une situation évolue toujours. Au début,
c’est toujours très difficile, les positions et les contradictions sont
figées, mais, petit à petit, les choses peuvent se décanter. Il faut
trouver des personnes en qui les deux parties ont confiance, privilégier
le dialogue, privilégier la concertation. Il ne faut pas se décourager.
Il faut aller voir les uns et les autres, leur parler, les écouter.
Cette voie doit être poursuivie.
Il est effectivement question d’une option militaire
envisagée par la Cedeao, mais même à la Cedeao, tout le monde espère
qu’on trouvera une solution qui ne soit pas militaire. Cette solution
n’est donc pas privilégiée. Elle n’est pas souhaitée. Elle n’en est pas
moins étudiée, mais j’avoue qu’au fond de nous-mêmes, chacun souhaite
qu’on n’y arrive pas. Il nous faut donc travailler dur pour qu’elle
puisse ne pas être mise en œuvre.
LA : S’il n’y a pas d’autre choix,
est-ce une extrémité à laquelle vous pensez qu’il faudra aller ? En tant
que militaire, la pensez-vous possible ?
ATT : En tant que général,
je pense que ce ne sera pas aisé. J’ai rencontré les différents chefs
d’état-major et j’ai vu toutes les contraintes pour une solution
militaire. Elles sont extrêmement importantes. En toute objectivité, je
suis le soldat qui reçoit des ordres et les exécute, et je suis
également le politique qui les donne, je choisirais la voie pacifique,
autant que faire se peut.
LA : S’il y a une intervention militaire, est-ce que le Mali y participera ?
ATT : Le Mali se
reconnaît, partage clairement et accepte toutes les décisions de la
Cedeao. Quels qu’en soient les aspects, économiques ou militaires, le
Mali s’y inscrit.
LA : Pourtant on a noté une
certaine discrétion du Mali dans ce dossier. Vous n’avez pas participé
au dernier sommet de la Cedeao à Abuja. Est-ce à cause de votre
proximité avec la Côte d’Ivoire, l’importance de la communauté malienne
en Côte d’Ivoire ?
ATT : En lisant la Côte
d’Ivoire, je lis mon propre pays, le Mali. Il y a deux millions de
Maliens en Côte d’Ivoire. 30 à 40% de nos importations viennent par
Abidjan. Notre coton est exporté par Abidjan. Donc nous avons en Côte
d’Ivoire énormément d’intérêts stratégiques, d’intérêt humain. C’est le
pays avec lequel nous échangeons le plus. Donc nous avons tout intérêt à
trouver une solution à la crise.
Ensuite, mon rôle n’est pas de prendre partie. Il est de
faire en sorte que l’Uemoa, que je préside, ou mon pays, participent à
trouver une solution pacifique. Maintenant, s’agissant de votre question
spécifique sur mon absence, je vous fais remarquer que j’étais présent à
la première réunion à Abuja. Pour la deuxième, je n’en ai été informé
que trois jours auparavant, à l’investiture du président guinéen Alpha
Condé, mais il s’avère que j’avais déjà programmé au plan national une
autre réunion, la présentation des vœux des institutions de la
République, arrêtée de longue date. Néanmoins, le Mali n’était pas
absent. Il était représenté par le ministre des Affaires étrangères et
de la Coopération. Et les décisions qui y ont été prises, comme je vous
l’ai dit, sont partagées par le Mali.
LA : Monsieur le Président, sur le
plan financier, Alassane Ouattara se plaint de la non-application des
décisions de Bissau. Que comptez-vous faire ?
ATT : Il me faut vous
faire la genèse de cette réunion. J’ai d’abord appris, à ma grande
surprise, que c’est le Mali qui a assuré le payement des salaires des
fonctionnaires ivoiriens. En d’autres circonstances, cela aurait prêté à
rire, mais en l’espèce, cela aurait pu avoir de graves conséquences
parce que cela a tout de suite été interprété comme une prise de parti,
alors que je vous ai dit qu’il n’appartenait pas au Mali de prendre
parti.
En tant que président de la conférence des chefs d’Etat de l’Uemoa, face
à une situation où une partie a fait des réserves, j’ai fait convoquer
une réunion extraordinaire des ministres des Finances à Bissau pour
étudier les questions de fond aux plans monétaire, financier et
économique et faire le point de l’impact de la situation ivoirienne sur
la BCEAO et sur la monnaie, ensuite sur les relations entre la Côte
d’Ivoire et la BCEAO, et faire des recommandations aux chefs d’Etat.
L’une des décisions des ministres a été de transférer la signature de la
BCEAO au président Ouattara. Donc demain [samedi] les chefs d’Etat
auront à se prononcer sur l’application de ces décisions.
LA : Avez-vous des inquiétudes pour
la monnaie régionale, pour le marché financier régional, pour
l’économie régionale d’une manière générale ?
ATT : J’ai des
inquiétudes. D’abord pour la sous-région, parce que la Côte d’Ivoire est
un partenaire extrêmement important pour la région. Inquiétude aussi
pour mon propre pays. Le port d’Abidjan constitue notre port principal,
et les opérateurs y sont particulièrement habitués. Donc la crise ne
peut avoir que des conséquences très fâcheuses. Comme je vous le disais,
nous avons fait des pas de géant pendant presque quarante ans. Nous
avons réussi, et il faut saluer nos prédécesseurs, à mettre en place une
union économique et monétaire très performante, que beaucoup nous
envient. Il faut que nous mettions le meilleur de nous-mêmes pour
pouvoir la sauver. Tous les chefs d’Etat qui seront ici auront à coeur
de le faire.
LA : Avez-vous des inquiétudes particulières pour le franc CFA ?
ATT : Je ne suis pas
spécialiste de la monnaie. Il me serait difficile de m’étendre sur ce
sujet. Mais quel que soit le domaine, que ce soit monétaire, que ce soit
au plan stratégique ou de nos ressortissants, les conséquences risquent
d’être difficiles. Si la crise perdure, je pense que nous aurons des
répercussions extrêmement graves.
« Il faut parallèlement privilégier le développement
local, parce qu’en définitive le terrorisme se nourrit du
sous-développement. Les islamistes viennent avec une idéologie qui ne
correspond pas à l’islam solidaire, ouvert, humain que nous
connaissons. »
LA : Je voudrais à présent que nous
abordions la question de la sécurité au Sahel. Au vu des derniers
développements, comment voyez-vous l’évolution de ce défi ? Que faut-il
au Mali pour maîtriser son territoire ? Nous avons également le
sentiment que la coopération avec l’Algérie ne se passe pas très bien.
ATT : Le Mali est placé à
une position stratégique positive et négative. Nous sommes au centre du
dispositif du Sahel occidental. La zone est très grande, 650 000 km2.
Nous avons 2200 km de frontière avec la Mauritanie, 1800 avec l’Algérie,
600 avec le Niger. C’est une zone presque vide où la densité est de
zéro virgule quelque au km2. C’est aussi un désert de sable et dans
certains endroits un désert de regs, de pierres. Nous avons des
montagnes qui font 80 km de long à la frontière avec l’Algérie. Les
conditions de vie y sont difficiles, avec des températures qui peuvent
varier de 1degré en décembre à 50 degrés à l’ombre en avril.
Le problème de l’insécurité, du terrorisme, nous a
surpris. Le Niger, comme le Mali, a été distrait par les rébellions
touaregs pendant que d’autres menaces naissaient, le trafic de
cigarettes, de drogues, d’armes et de munitions dans une vaste bande.
Toutes ces menaces sont transfrontalières.
Que nous le voulions ou non, nous sommes à la fois
victimes et otages. Ces gens sont venus d’ailleurs s’installer chez nous
sans nous demander notre avis. Nous n’avons délivré aucun visa.
Dès septembre 2006, j’ai lancé un appel aux différents
chefs d’Etat de la bande sahélosaharienne, la Mauritanie, le Niger,
l’Algérie, le Burkina Faso, le Tchad et la Libye. J’ai attiré leur
attention sur les menaces qui s’organisaient et qui pouvaient avoir des
répercussions très négatives, pouvant s’étendre du Tchad jusqu’au golfe
de Guinée. Il fallait donc les circonscrire et prendre des mesures. A
l’initiative du Mali s’est tenue une réunion des experts, puis une
réunion des ministres des Affaires étrangères. Malheureusement, la
réunion des chefs d’Etat qui devait parachever le processus n’a pu se
tenir.
Maintenant le problème se complique parce qu’il y a
surmédiatisation avec les prises d’otages. C’est devenu un feuilleton.
Dès qu’on en libère, on attend les prochains. Les Ivoiriens disent qu’il
faut éviter de gifler quelqu’un quand vous avez votre doigt dans sa
bouche. Dès qu’il y a prise d’otages, le problème se complique. D’abord
les pays dont proviennent les otages commencent par dire qu’il faut
éviter des actions militaires qui peuvent mettre leur vie en danger. Ce
qui arrange les ravisseurs, car les otages deviennent des boucliers.
Le problème le plus crucial est toutefois qu’il y a un
déficit de coopération. Nous avons essayé les missions ponctuelles
pendant deux ans. Nous avons perdu beaucoup de soldats dans le silence
et nous avons vu les limites de l’option militaire. D’abord, elle était
insuffisante parce qu’il fallait une action d’ensemble. Les menaces sont
transfrontalières, les réponses doivent aussi être transfrontalières.
Or il n’y a qu’avec la Mauritanie que nous avons pu mener quelques
actions ponctuelles.
Maintenant, il y a un espoir. A Tamanrasset, sur
initiative algérienne, nous avons mis en place un état-major interallié
qui aura pour mission d’organiser et de planifier les opérations et la
mise en commun des moyens. Pour pouvoir contenir les bandes, sécuriser
les frontières, nous devons faire des manoeuvres dans toute la bande
sahélo-saharienne, tous ensemble. Les bandes contre lesquelles nous nous
battons viennent de certains pays et doivent se ravitailler. Donc si
nous sommes ensemble, nous pouvons boucler tous les circuits de
ravitaillement et isoler les groupes pour mieux les gérer.
Les actions ponctuelles et spectaculaires ne servent
absolument à rien. Le lendemain, elles sont oubliées. Quand nous
effectuons des patrouilles pendant un mois, les bandes vont ailleurs et
attendent notre départ pour revenir. Le Mali a décidé de mettre en place
une politique nationale de lutte contre le terrorisme et le banditisme
transfrontalier avec un programme d’urgence sur deux ans, 2010/2012. La
particularité de ce programme, c’est qu’il prend en compte un facteur
essentiel, l’immensité de la bande. Les distances étant énormes, la
dimension aérienne est donc très importante.
Or, dans la plupart de nos pays, l’on est très démunis
en moyens aériens. Sur le terrain, les menaces peuvent être très loin de
nos forces. C’est pour cette raison qu’au Mali, nous avons décidé de
créer des zones sécurisées de paix et de développement qui consistent à
mettre une garnison militaire, un poste administratif, une école, une
cantine pour les nomades, un centre de santé. C’est-à-dire que nous
créons des conditions de vie pour ces populations éparpillées, laissées à
elles-mêmes et qui vivent dans la précarité et la pauvreté. C’est là la
solution la plus durable.
Il faut parallèlement privilégier le développement
local, parce qu’en définitive le terrorisme se nourrit du
sous-développement. Les islamistes viennent avec une idéologie qui ne
correspond pas à l’islam solidaire, ouvert, humain que nous connaissons.
Eux ont d’autres objectifs quand ils viennent faire de l’humanitaire
pour pénétrer nos populations.
Nous devons y répondre par le développement, pour
pouvoir récupérer nos populations. Il faut offrir des alternatives à ces
populations. Un jeune de dix-huit ans qui n’a rien à faire ou qui a
quelques chèvres, quelques chameaux, qui les perd une année sur trois
parce qu’il n’a pas plu, que voulez-vous qu’il fasse s’il n’a pas
d’alternative, s’il n’a que le choix d’aller chez les terroristes, chez
les passeurs, chez les trafiquants de drogue ?
Nous essayons donc de prendre en compte les besoins
légitimes de ces populations, de ces jeunes. Occupons-les dans l’armée,
dans la sécurité, dans le développement, dans les activités génératrices
de revenus. Sans cela, l’action militaire classique est vouée à
l’échec.
Il faut également que nous mettions en place les
structures d’accueil, pour que nos forces armées puissent rester sur le
terrain le temps nécessaire, rester en place six mois, un an, deux ans,
et cesser ces allers-retours qui ne servent à rien. Ils peuvent être
spectaculaires, mais n’ont pas de lendemain. Donc au-delà de l’aspect
militaire, j’appelle les différents pays de la bande sahélo-saharienne à
se préoccuper des conditions de vie de ces populations.
Quelqu’un d’autre ne peut pas venir résoudre nos
problèmes de sécurité à notre place. Je ne pense pas que ce problème
nous dépasse. Nous devons, pour l’honneur, les prendre en charge nous
mêmes. Nous pouvons résoudre l’insécurité dans la bande
sahélo-saharienne si nous nous mettons tous ensemble. Malheureusement,
aujourd’hui encore, chaque pays accuse l’autre et aucun ne fait rien
avec d’autres. Chacun dit que c’est la faute de l’autre.
LA : Des populations de Sikasso, je
crois, ont demandé la prolongation de votre mandat dans le cadre de
l’harmonisation des mandats des députés et des élus locaux. A la suite
de cet appel, le président de la Coordination malienne des organisations
démocratiques, Ali Nouhoum Diallo, invite les députés à refuser cette
« préparation méthodique d’un coup d’Etat civil ». Quel est ce débat ?
Monsieur le Président, est-il question que vous puissiez prolonger votre
mandat ?
ATT : Je ne sais pas
comment ils vont prolonger mon mandat. Je ne sais pas ce que cela veut
dire de prolonger un mandat. Mon mandat finit le 8 juin 2012 et je n’ai
jamais pensé… Je suis même étonné de voir discuter de mon sort sans moi,
sans que personne, sauf vous, ne vienne me demander ce que j’en pense.
Je pense que ce sont des artifices. Ce sont des choses qui ne veulent
absolument rien dire. Je suis venu au pouvoir dans ce pays par deux
voies. La première fois par coup d’Etat. L’armée m’avait délégué pour
prendre le pouvoir par la force, et c’est ce que nous avons fait.
Nous sommes restés quatorze mois, pendant lesquels nous
avons mis en place toutes les structures de la démocratie. Toutes ! Nous
avons organisé toutes les élections, et puis je suis parti. Pendant dix
ans, je n’ai jamais parlé de politique. Puis j’ai pensé qu’avec
l’expérience que j’avais, et surtout avec le manque de cohésion d’une
partie de la classe politique malienne, je ne pouvais quand même pas,
après tous les sacrifices que nous avions consentis, laisser les acquis
tomber à l’eau. J’ai donc pensé que je pouvais apporter quelque chose à
mon pays. J’ai pensé qu’il était nécessaire que je vienne en
indépendant.
Sans parti politique, je me suis présenté, soutenu par
des partis et des associations de la société civile. Et depuis je
préside. Pour moi, mon mandat finit le 8 juin et je ne rentre pas dans
quoi que ce soit. Ils n’ont pas besoin de mobiliser qui que ce soit. La
seule personne qu’il faut mobiliser, c’est moi-même, et je suis d’avis
que le mandat finit le 8 juin et qu’il faut partir le 8 juin. Je ne vois
donc pas pour quelle raison on ouvre un débat qui n’a pas de sens. Vous
êtes le seul venu me poser la question. Si les journalistes maliens
l’avaient fait, j’aurais déjà répondu.
La Constitution malienne n’est pas comme les autres.
C’est moi qui ai présidé la conférence nationale en 1991 qui a élaboré
notre constitution. Les gens oublient qu’il y a un article qui impose de
passer par un référendum pour tout changement constitutionnel.
L’article qui les intéresse tous, c’est l’article 30, mais je pense que
ce n’est pas le plus important. J’ai mis en place une commission pour
identifier toutes les insuffisances éventuelles de notre Constitution,
toutes les entraves après quinze ans de pratique démocratique pour
savoir comment réorganiser nos institutions, comment revoir les
relations entre les institutions, les lacunes dans l’organisation des
élections, le financement des élections…
Ce sera une réforme essentielle, cardinale sur laquelle
mes efforts vont porter cette année. S’agissant de l’article 30,
c’est-à-dire, savoir si le président doit continuer ou pas, ni le
président, ni l’Assemblée nationale, ni le congrès ne peuvent le
changer. C’est le peuple malien qui peut le faire par référendum. Je
vois dans cette agitation un peu de manque de confiance. Je crois qu’en
réalité les gens sont pressés. Mais moi aussi d’ailleurs, je suis pressé
de leur laisser la place.
Rien n’empêche les Maliens de changer cet article, mais moi, je ne
voterai pas pour cela.
LA : Aurez-vous un candidat ?
ATT : Non.
LA : Vous ne soutiendrez aucun candidat ?
ATT : Je ne soutiendrai
aucun candidat. Je me contenterai de tout faire pour organiser des
élections libres, transparentes et crédibles. Tous les candidats
pressentis ont plus ou moins des rapports personnels avec moi. Le plus
important pour moi, et là c’est le soldat qui parle, c’est qu’à la fin
de ma mission, je souhaite au Mali d’avoir un très bon président,
pondéré, ouvert, disponible, travailleur, et surtout profondément
enraciné dans nos valeurs de culture. Quel que soit celui qui sera élu,
il n’y a pas de problème pour moi.
J’attendrai de connaître toutes les candidatures pour savoir pour qui je
vais voter.
LA : Vous allez quand même voter ?
ATT : Bien entendu, mais celui pour qui je vais voter ne pourra compter, en ce qui me concerne, que sur ma voix.
Propos recueillis par Chérif Elvalide Sèye,
Agence Ecofin
(Les Afriques, No 146 : 27 janvier au 2 février 2011)