J’adresse mes condoléances aux familles des disparus.
J’en appelle à tous les Maliens, aux jeunes et aux vieux, aux hommes et
aux femmes : je pense sincèrement à ceux qui sont tombés, à tous ceux
qui ont été victimes de la tragédie. Dieu ait leur âme et que leur âme
repose en paix.
I offer my condolences to the families of those who lost their lives. I ask all Malians, young and old, men and women, to join me in prayer for our fallen victims of this tragedy. That Allah affords them peaceful repose.
Voici un an, notre parti, l’UDPM, a entamé une réflexion
[allusion au débat sur le multipartisme qui avait commencé mi-1990,
NDLR]. Le parti a décidé une concertation pour trouver un terrain
d’entente et permettre ainsi au pays d’aller de l’avant. Les
responsables du parti n’ont pas du tout estimé que la perspective du
multipartisme était un risque grave à écarter. Mais le parti a décidé
qu’il fallait l’expliquer au peuple et à partir de la base parce qu’il
s’agit d’une affaire nationale que les seuls dignitaires ne peuvent
trancher depuis Bamako.
It has been a year since our party the UDPM has embarked on a reflection. The party had decided on a conference to expand the national political space to allow the country to grow. The officials of the party never envisaged that the idea of a multi-party polity would present any insurmountable obstacles, but they advisedly decided to explain the idea to the people and the grassroots because it is a question of National interest that ought not be reserved for the elites in government.
Voilà pourquoi le conseil national du parti
s’est réuni en juin 1990. Après ce conseil national ordinaire, on a
décidé de poursuivre la réflexion sur le multipartisme et de convoquer
un conseil national extraordinaire, qui s’est tenu en août 1990. Tout le
monde s’est exprimé pour mieux comprendre, mais aussi pour faire mieux
comprendre aux autres. Le bureau exécutif central a donc demandé un
examen sérieux de la question en vue de dégager un consensus sur le
multipartisme.
This is why the party held a national congress in june 1990. After the congress, it was determined that an extraordinary congress on the question of multi-party politics be convened, and that was held a month later in August 1990. Everyone expressed their ideas and listened to the ideas of their fellow citizens. The Central Executive Bureau then embarked on a synthesis of those deliberations with a view to accruing a concens on the multi-party question.
Mais pendant que se faisait ce travail de réflexion au
sein du parti, qui a convoqué le congrès du 28 au 31 mars, des
associations politiques se sont créées. Le ministre de l’Intérieur a
dit : « Les associations peuvent se créer, mais la loi n’autorise pas la
création d’association à caractère politique. » Nous avons donc dit
qu’il fallait respecter la loi. Eux [il s’agit bien sûr des dirigeants
du Comité de coordination des organisations démocratiques, NDLR], ils
nous font des reproches parce que nous avons dit ça et que ce ne devait
pas être dit. Ils refusent de respecter la loi, ils feront ce qu’ils
voudront. Si tu dépasses les bornes, attends-toi à
en subir les conséquences.
Even as work continued on this synthesis, political parties were being formed. The minister of the Interior had declared: Associations can be formed but the law as it exists, does not allow the formation of political parties. We have echoed the minister's declaration that we must abide by the law until it is changed to allow the formation of political parties. Those who were bent on lawlessness held us in contempt for that declaration. They refused to abide by the law and continued the intransigence. When you cross the line, you must accept responsibility for the consequences inuring from such intransigence.
Le veau ne connaît pas le lion,
mais sa mère, elle, le connaît... Les enfants se sont mis à créer
plusieurs associations. Ils ont dit qu’ils n’étaient plus membres de
l’Union nationale des jeunes du Mali [l’organisation alors unique des
jeunes, affiliée au parti unique, NDLR] et qu’ils vont créer leurs
propres associations. Depuis plus de trois mois, les enfants n’ont pas
fait une seule semaine complète à l’école ! Ils boycottent les cours
comme ils veulent, ils manifestent, ils cassent comme ils veulent, ils
détruisent ce qu’ils veulent. Bamako a connu le vandalisme. Nous avons dit qu’il
fallait raisonner les enfants. Nous l’avons dit à leurs pères et à leurs
mères, nous nous sommes adressés aussi à eux, les enfants. En vain.
J’ai demandé au ministre de l’Éducation : « Qu’est-ce
qui se passe ? » Et le ministre a dit : « Rien ne justifie ces
casses-là. Ils n’ont pas cherché à me voir et ils ne m’ont rien
demandé. » Je lui ai dit : « Cherche à savoir ce qu’ils veulent. »
Rejet de tous les accords
C’est à partir de là qu’ils ont dit qu’il fallait
satisfaire coûte que coûte leurs revendications. Quand ils lui ont fait
parvenir leurs revendications, le ministre leur a répondu le jour même.
Mais ils ont dit que ce n’est plus ça ! Et qu’il fallait que le ministre
les reçoive. Le ministre a dit : « D’accord. Je vous reçois, vous,
l’AEEM [Association des étudiants et élèves du Mali, NDLR], mais aussi
toutes les associations d’élèves, plus les parents d’élèves, l’Union des
femmes [affiliée au parti unique, NDLR], celle des jeunes, pour qu’on
discute sérieusement du postscolaire et qu’on trouve un terrain
d’entente. Ce n’est pas la peine de raconter aux Bamakois ce qui s’est
passé les 21 et 22 janvier. Plus tard, ces événements serviront de
sources aux conteurs ou aux auteurs de devinettes, tellement il y a eu
de la casse. Les élèves ont demandé au ministre de leur dire clairement
et immédiatement si leurs revendications seront satisfaites.
Quand quelqu’un te dit : « Bois vite ton dégué [boules
de mil délayées dans le lait caillé, NDLR], qui est un plat froid, et
passe-moi vite la louche pour que je boive à mon tour », la situation
est vraiment en train de chauffer !
Le ministre les a reçus encore en présence du syndicat
des enseignants, de l’Union des femmes, de l’Union des jeunes, des
parents d’élèves. Il leur a dit : « Dites-moi ce que vous voulez et je
vous réponds tout de suite que je ferai ce que je pourrai ... »
Mais voilà qu’après cette réunion le Syndicat des
enseignants annonce qu’il suspend sa participation aux travaux. Le
ministre en appelle à l’UNTM [Union nationale des travailleurs du Mali,
ancienne confédération unique, qui a rejoint le camp des contestataires,
NDLR] ; il a appelé les enseignants à revenir sur leur décision : ils
ont refusé.
Un vendredi (15 mars), les élèves eux- mêmes se sont
déclarés satisfaits et ont promis de revenir le vendredi suivant pour
signer l’accord. Mais, entre-temps, le mardi, ils sont revenus pour
rejeter tous les accords conclus avec le ministre. Le ministre m’a rendu
compte : « L’affaire se corse », m’a-t-il dit. Je lui ai répondu : « Ce
n’est pas grave. Les enfants, nos enfants, ne connaissent rien à la
guerre, ils ne peuvent pas vouloir ça. » Moi, je connais la guerre, la
guerre est néfaste. J’ai dit au ministre de convoquer de nouveau l’Union
des jeunes, l’Union des femmes, les parents d’élèves, le Syndicat des
enseignants. Car l’accord nous concerne tous, mais les élèves ont dit
« merde » et qu’ils ont le fer aux dents [qu’ils sont prêts à se battre,
NDLR].
Le ministre a dit : « Qu’allons-nous faire ? » Ils ont
répondu qu’ils étaient dépassés. Le ministre a demandé aux enseignants
dans quelles conditions les écoles pourraient rouvrir et s’ils étaient
disposés à reprendre les cours. Ils ont dit : « On va réfléchir. »
La réflexion a duré jusqu’au vendredi 22 mars, le jour
de la guerre. Ce vendredi-là, Dieu m’est témoin, des pauvres, des
riches, tous ceux qui possédaient quelque chose, le contribuable, les
employeurs, etc., tous ont vu leurs biens saccagés. Ce sont pourtant des
gens qui n’ont rien à voir avec ces histoires ! C’est Dieu qui leur a
donné leurs biens, mais on leur a tout détruit. J’ai convoqué les chefs
religieux et je leur ai dit ceci : « Dites aux enfants et à ceux qui les
manipulent d’arrêter. Ce n’est quand même pas trop leur demander.
Depuis décembre 1990, je prêche la modération, car le vandalisme n’est
pas une bonne chose. Ce qui a été construit difficilement ne doit pas
être détruit en une seconde. »
Les chefs religieux convoqués
Aujourd’hui, j’ai convoqué la coordination des
associations qui sont impliquées dans ces événements pour leur dire :
« Que pensez-vous de la situation ? » Ils m’ont dit que leur
coordination allait me remette leur déclaration. J’ai lu leur
déclaration. Le document dit [martelant ses mots] que je suis un
dictateur ! Que Moussa est un dictateur qui n’écoute personne, qui
refuse tout dialogue, qui est un homme buté ! Et que j’ai mis en œuvre
un plan pour tuer les enfants, les femmes et les vieillards ! Par
conséquent, Moussa et son gouvernement doivent démissionner pour être
remplacés par un Comité de salut public !
Moi, je dis : même quand on n’est pas un croyant, il
faut avoir de la dignité ! Et quand on est croyant, il faut avoir peur
de Dieu. Même si tu ne crois pas en Dieu, tu dois être digne. La dignité
repose sur trois points : tu ne trahis pas la parole donnée, tu ne
parjures pas et tu ne mens pas. Dans ce pays, j’ai été le premier à
prononcer le mot « liberté », que les enfants ont repris dans leurs
chansons, ce jour-là [allusion au coup d’État du 19 novembre 1968 qui
l’avait porté au pouvoir, NDLR] et aujourd’hui encore. Même si le lièvre
est ton ennemi, reconnais au moins qu’il a de grandes oreilles.
On me dit encore que je suis un assassin. Ah ! On me
qualifie de méchant. Mais quand on t’accuse, les gens qui te connaissent
ne croient pas les accusateurs ! Ils diront : « c’est faux ». Depuis le
18 novembre 1968 jusqu’à aujourd’hui, demandez aux gens : « Où sont les
cadavres des victimes de Moussa ? » Où sont-ils ? Si c’était vrai,
j’aurais été critiqué partout. Si la bouche longue ne le dit pas, la
bouche courte le dira. [Si c’était vrai, quelqu’un l’aurait déjà dit
auparavant, NDLR.] Si j’avais été un assassin, [pointant le doigt vers
la caméra] vous ne seriez pas là aujourd’hui ! S’il n’y avait pas eu le
19 novembre 1968, vous ne seriez pas là aujourd’hui pour me dire ce que
vous êtes en train de me dire. Vous ne l’auriez pas pu, auparavant.
« Donnons-nous la main »
Avant le 19 novembre 1968, on ne pouvait pas dire la
vérité, ni à sa femme ni à son enfant. On parlait en cachette !
[Bégayant de colère.] Ne mentez pas sur moi ! Mentir sur moi, c’est le
comble de l’infamie ! Vous avez dit que Moussa et son gouvernement
doivent démissionner. N’Tè ! Je refuse ! Et encore : je refuse ! Ce
n’est pas vous qui m’avez donné le pouvoir ! Vous ne m’avez pas amené au
pouvoir ! Je sais comment j’ai eu le pouvoir et comment je l’ai
exercé !
[Il bégaie de plus en plus et vocifère, le doigt
menaçant.] Ce sont les Maliens qui m’ont demandé de rester au pouvoir !
Ils demandent aussi la dissolution de l’Assemblée nationale. Je refuse !
Ce sont les élus du peuple malien, ils sont au service du peuple. Ce
n’est pas vous qui les avez élus, en tout cas pas vous seuls.
[Il reprend difficilement son souffle.] Je demande aux Maliens : où sont les cadavres de Moussa ? Où sont-ils ?
J’ai dit et répété que ceux qui manipulent les enfants
doivent cesser. Et ceux qui manipulent les manipulateurs ne sont pas
ici, ils sont à l’extérieur [pointant le doigt vers la caméra], ils ne
sont pas d’ici. S’ils laissent nos enfants tranquilles, il n’y aura pas
de troubles. Je l’ai dit : nous payons nos impôts pour construire le
pays. On ne peut pas ne pas réagir. Lequel des manipulateurs a eu sa
maison détruite ? Beaucoup d’entre eux sont au bord de leur tombe [et il
montre du doigt une tombe imaginaire ... puis, levant les yeux au
ciel :] Allah ! Qu’ont fait les innocents ? Allah ! Toi qui ne dors pas,
toi qui n’as pas sommeil, tu vois tout, paie chacun selon ce qu’il
mérite ! Parmi les manipulateurs, lequel a des enfants parmi les morts ?
Aucun ! Ils n’ont pas d’enfants [bégayant] parmi ... parmi les
victimes, leurs biens n’ont pas été détruits, ni ceux de leurs parents.
Mais ce sont eux qui poussent les enfants des autres devant les
militaires.
Maliens, vous qui savez que mes mains ne sont pas
souillées de sang, suivez-moi ! Vous le savez bien, suivez-moi ! Dieu ne
laisse pas l’eau et le lait se mélanger. Pas du tout. Suivez-moi pour
que nous construisions le Mali, comme nous l’avons toujours fait
partout, en forant des puits, en creusant des canaux d’irrigation, en
réalisant l’autosuffisance alimentaire, en menant une bonne politique de
l’élevage. Donnons-nous la main.
Nous avons dit, moi, Moussa, j’ai dit : « Asseyons-nous
et parlons. Et entendons-nous. C’est cela qui est agréable. » [Un long
silence.] Trop parler ou parler peu, c’est poursuivre le même but. Je
m’arrête là aujourd’hui. Je vous salue. Je vous remercie pour la
confiance que vous avez placée en moi, dans la dignité ! Et en bons
musulmans que nous sommes, en cette période de carême, je demande à
Dieu, à vous qui êtes en carême, à vous qui ne jeûnez pas, à tous les
hommes de bonne volonté : joignez-vous à moi et prions pour Dieu fasse
que le Mali aille de l’avant...
Jeune Afrique
28 Mars 2011.