You're gonna love this. We love you President Conde'. We love you La-Guinea. Haruna.
Alpha Condé : " Qui oserait me donner des leçons de democratie "
Source : Autres : Dernière Mise à jour : 01/06/2011 (Auteur : .)
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( Jeune Afrique )Remise
en ordre du pays, relance de l’économie, situation politique… Le
nouveau chef de l’État guinéen parle sans détour pour sa première grande
interview. Volontariste et énergique, "sur tous les fronts", il promet
"la fin de l’anarchie".
Alpha Condé, 73 ans, a pris son job de président
comme il a embrassé, un demi-siècle durant, sa vie d’opposant : à
bras-le-corps. Levé à 6 heures, couché passé minuit, il enchaîne les
audiences au palais Sékoutoureya puis, le soir venu, dans sa villa de
Kipé, mange peu, se fait occasionnellement masser le dos et ne se sépare
jamais de ses trois téléphones portables avec lesquels il gère des
affaires qui, ailleurs qu’en Guinée, pourraient paraître des détails.
Les importations de riz asiatique par exemple :
l’entendre négocier lui-même le prix de la prochaine cargaison attendue
dans le port de Conakry – « Je veux tout sauf du riz de Birmanie : les
généraux là-bas ne sont pas des gens sérieux » – est un grand moment.
Mais aussi la distribution d’eau et d’électricité dans les quartiers, la
marque des véhicules de fonction, les états d’âme de la Grande Muette,
des imams et des petits changeurs de francs guinéens, les bagarres de
féticheurs au fin fond de la Guinée forestière et, surtout, le travail
de chacun de ses ministres. Pour ce faire, « le Professeur », ou « kôrô
Alpha » (« grand frère Alpha ») dispose d’une capacité d’écoute et d’un
réseau parallèle d’information impressionnants. Il fait tout, voit tout,
se mêle de tout, concentre toutes les décisions et ne ménage guère son
corps couturé de tant de batailles, de condamnations à mort et de
séjours en prison.
Dimanche 15 mai, le voici qui pose le pied sur le
tarmac de l’aéroport, de retour d’une épuisante tournée de VRP en
Afrique du Sud, en Turquie et dans le Golfe. Aussitôt : bain de foule,
puis meeting dans une salle surchauffée du Palais du peuple au cours
duquel il prononce un long discours en trois langues, français, soussou
et malinké (il ne parle pas le peul), avant de tenir une séance de
travail avec les chefs de l’armée puis avec son Premier ministre. «
C’est vrai, je suis sur tous les fronts », confie le président élu le 7
novembre 2010 avec 52,5 % des voix et investi il y a à peine cinq mois, «
mais tout ici est à reconstruire ».
À l’image de Conakry, capitale en lambeaux de deux
millions d’habitants menacée d’AVC par des embouteillages
cauchemardesques, le pays entier peine à sortir d’un coma de cinquante
ans. La démocratie, les droits de l’homme, la bonne gouvernance y sont
des notions nouvelles derrière lesquelles affleurent toujours les
tensions ethniques, la violence et la corruption. C’est à cette tâche
herculéenne qu’à sa manière – solitaire, déterminée, tranchante,
militante, brouillonne en apparence mais dans le fond plutôt méthodique
et évidemment sujette à critiques de la part d’une opposition mordante
qu’il accuse désormais de vouloir recruter des mercenaires – le camarade
Alpha s’est attaqué à corps perdu. Et peu importe si son sommeil est
peuplé de sacs de farine, de conteneurs de riz, de barils d’huile et de
kilomètres de rails…
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Jeune Afrique : Vous attendiez-vous à trouver la Guinée dans un tel état ?
Alpha Condé : Un peu, oui. Mais j’ai tout de même été
surpris par l’ampleur des dégâts. Exemple : la quasi-totalité des
contrats passés par l’État en 2009-2010 a été surfacturée. Certains de
200 %. La Banque centrale de Guinée était au bord de la faillite, à
cause de l’utilisation abusive des avances au Trésor. Plus grave : le
gouverneur de cette même banque s’est permis d’émettre des billets non
sécurisés, rendant impossible la détection de la fausse monnaie ! Toute
notre économie est dans un état de déliquescence avancée. Un vrai
désastre.
Depuis cinq mois, qu’avez-vous fait pour tenter d’y remédier ?
Première chose : enrayer la corruption en créant
l’unicité des caisses de l’État. Tous les comptes auparavant dispersés
entre divers pôles autonomes – port, mines, fonds routier, etc. –, dont
les titulaires usaient et abusaient à leur discrétion, ont été rapatriés
au ministère des Finances. Deuxième mesure : la Banque centrale ne fait
plus aucune avance au Trésor sans contrepartie des recettes
correspondantes. Troisième acte de rupture avec le passé : la
suppression de l’impôt de capitation, extrêmement impopulaire, et la
gratuité des soins pour les femmes enceintes. La réduction drastique du
déficit budgétaire aussi, ramené de 13 % du produit intérieur brut à 2
%. La révision des accords miniers, scandaleusement désavantageux pour
la Guinée. La création de bureaux de change agréés et l’interdiction du
change sauvage et clandestin. J’en passe. Ici, le bouleversement est
quotidien.
Vous avez renégocié, avec succès, plusieurs gros
contrats conclus avec des géants miniers comme Vale et surtout Rio
Tinto. Comment y êtes-vous parvenu ?
C’est très simple. Rio Tinto a revendu, en 2010, 47 %
de ses actions aux Chinois de Chinalco sans en informer l’État guinéen,
ce qui est en contradiction avec le code minier. Et cela d’autant que
sa concession expirait en février 2010. Nous avons donc exigé et obtenu
de Rio Tinto une indemnisation à hauteur de 700 millions de dollars,
plus 15 % d’actions gratuites et 20 % d’actions payantes, soit 35 % au
total. Je crois que c’est une première en Afrique. La négociation a été
ardue dans la mesure où les groupes miniers avaient pris en Guinée de
mauvaises habitudes – il leur suffisait de verser des dessous-de-table
pour arriver à leurs fins. Désormais, ce genre de pratiques n’a plus
droit de cité. Un nouveau code minier est en préparation. Quand il sera
achevé, d’ici à juillet, nous discuterons avec les autres sociétés, dont
Rusal, pour qu’elles s’y conforment. Un article essentiel y figurera :
toute société qui se rendra coupable de corruption se verra contrainte
de payer une forte amende. Dans les cas les plus graves, le contrat sera
tout simplement annulé.
La Chine a octroyé des prêts très importants et à
très bas taux à l’Angola et à la RDC en échange de concessions minières.
Ce raccourci ne vous tente pas ?
Non. Nous dissocions les prêts des contrats. Le contraire n’est ni sain ni transparent.
Vous avez promis de faire des audits de la gestion
passée et de poursuivre ceux qui ont détourné des biens publics. Où en
êtes-vous ?
Pas de chasse aux sorcières, mais une volonté forte
de clarifier les choses. Les présumés coupables seront convoqués devant
la justice, ils se défendront, et les juges apprécieront. Des audits ont
été effectués avant notre arrivée au pouvoir, d’autres sont en cours.
Pour le reste, nous avons décidé de récupérer tous les biens – terrains,
villas, immeubles – appartenant à l’État et indûment accaparés par
d’anciens ministres. Idem pour les commerçants qui ont osé spéculer sur
les dons étrangers : ils devront rembourser ou faire face aux rigueurs
de la loi.
Quand vous critiquez les commerçants véreux, la communauté peule a l’impression que vous la stigmatisez…
À tort. Ce sont quelques commerçants ayant abusé de
leur monopole d’importation de certaines denrées, le riz ou la farine
par exemple, que nous visons. En aucun cas les Peuls dans leur ensemble.
Il faut casser les monopoles. Je l’ai dit aux commerçants peuls et
libanais, je l’ai dit aux paysans, aux artisans : dans la nouvelle
Guinée, il n’y aura plus de privilèges indus. Si nous voulons produire
ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons, chacun doit
être égal devant la loi.
Pourquoi avoir rendu publique la liste des
quarante-deux plus gros débiteurs de l’État ? N’est-ce pas les désigner à
la vindicte ?
Non. Avant de publier cette liste, nous avons donné
un mois à ces gens pour qu’ils se mettent en règle, sous peine de voir
leur nom étalé au grand jour. Certains l’ont fait et ont proposé à
l’agent judiciaire des calendriers de remboursement. Nous en avons tenu
compte et ils ne figurent pas sur la liste. Quant aux autres, ils ont
pris leurs responsabilités. Ils ont pillé ce pays. Qu’ils assument.
En tête de cette liste, on trouve l’homme d’affaires
Mamadou Sylla, qui, pourtant, vous a soutenu lors de la présidentielle
de 2010. Il a dû être surpris…
Ce n’est pas moi qui ai confectionné cette liste,
mais le ministère en charge des Audits et du Contrôle économique et
financier. J’ai simplement dit : publiez-la, quelle qu’elle soit.
J’avais d’ailleurs été clair à ce sujet pendant ma campagne en annonçant
que je ferais tous les audits nécessaires. Lorsqu’il s’agit des
intérêts du peuple et du pays, je n’ai pas d’états d’âme : je ne protège
personne sous prétexte qu’il m’a soutenu.
L’Alliance Arc-en-Ciel, qui vous a porté au pouvoir,
semble battre de l’aile. Certaines personnalités comme Lansana Kouyaté,
Kassory Fofana, Mamadou Sylla bien sûr, s’estiment plutôt mal
récompensés. Cela vous ennuie ?
Je ne m’occupe pas de cela, mais de l’application du
programme sur lequel j’ai été élu. Le copinage et l’ethnocentrisme ne
font pas partie de mes méthodes. Ceux qui sont d’accord avec moi me
suivent. Les autres… Je me suis engagé devant le peuple, pas devant les
politiciens, fussent-ils de mes alliés.
Pourtant, c’est bien d’ethnocentrisme qu’on vous a
accusé entre les deux tours du scrutin présidentiel de 2010. Plus
exactement, d’avoir joué la carte du « tout sauf un Peul au pouvoir »…
Écoutez. J’ai été longtemps président de la
Fédération des étudiants d’Afrique noire en France [Feanf]. Je suis un
militant de l’unité africaine. Ce n’est pas à mon âge que je vais
commencer une carrière de tribaliste. Qui a mené une campagne ethnique ?
Qui a dit « c’est notre tour », « c’est le tour des Peuls » ? Cellou
Dalein Diallo. Beaucoup de leaders de cette communauté m’ont rejoint et
m’ont soutenu, ce qui leur a valu d’être intimidés et menacés par mon
adversaire. Moi, je n’ai jamais menacé un Malinké ou un Soussou parce
qu’il avait rallié Cellou ! Sékou Touré était un Malinké comme moi, je
l’ai combattu. Lansana Conté était un Soussou, je l’ai combattu. Mon
combat n’est pas pour ou contre une tribu, il est pour la bonne
gouvernance et contre ceux qui ont mis ce pays à genoux.
S’il a accepté le résultat de la présidentielle,
Cellou Dalein Diallo répète que l’élection n’a pas été juste, qu’il a
sauvé la Guinée de la guerre civile et qu’il ne collaborera jamais avec
vous. Cela vous pose problème ?
Non. Parce que le problème ce n’est pas lui, mais
l’eau, l’électricité, la pauvreté, l’autosuffisance alimentaire, bref
l’essentiel. Je ne réagis pas à ce que dit ce monsieur depuis Dakar,
quitte à ce qu’on me le reproche.
Lors de son bref retour à Conakry, le 3 avril, il y a eu de sérieux affrontements entre ses partisans et les forces de l’ordre.
Ses gens ont refusé de changer l’itinéraire de leur
manifestation comme cela leur avait été signifié. La Guinée est devenue
un État de droit, chacun doit s’y conformer. Le temps de l’anarchie, de
la pagaille, des pierres jetées sur les voitures, c’est fini ! Le
général français qui est venu nous aider à mettre en place le service
civique pour les jeunes a été agressé et blessé dans son véhicule. C’est
inacceptable. Alors oui, nous avons arrêté les casseurs. Désormais, nul
n’est au-dessus des lois en Guinée.
Le 10 mai, c’est le domicile de Cellou Dalein Diallo
qui aurait été perquisitionné en son absence par des militaires de la
garde présidentielle. Pourquoi cet acharnement ?
Vous savez, le mensonge est chez certains Guinéens
une seconde nature. Il n’y a jamais eu de perquisition, mais un problème
interne à la garde personnelle de Cellou. L’argent qu’il distribue à
ses hommes, dont certains sont des Bérets rouges, a été mal réparti, et
l’un d’entre eux, mécontent, est venu exiger son dû les armes à la main.
Tout ce qu’on a raconté dans les médias à ce sujet est faux.
D’ailleurs, ce ne sont ni les agences de presse, ni les radios
étrangères, ni les journaux, encore moins internet qui guident mes
actions. Vous me connaissez suffisamment pour le savoir.
Tout de même. Quand la rumeur se répand, lors de
votre récent voyage en Afrique du Sud, que vous vous y êtes rendu pour
vous faire opérer en urgence, vous réagissez…
Oui, mais avec le sourire. Je sais que cela aurait
fait plaisir à certaines personnes, celles qui vont voir les marabouts
pour que je tombe malade. Si cela les amuse de dépenser leur argent pour
rien… Je suis allé en Afrique du Sud à l’invitation du président Zuma ;
de là je me suis envolé pour la Turquie, Dubaï, puis Abou Dhabi afin de
vendre la destination Guinée aux investisseurs, le tout en une semaine.
À peine revenu à Conakry, vous m’avez vu tenir une réunion publique. Je
crois que le malade se porte plutôt bien, non ?
Quand auront lieu les élections législatives ?
Apparemment, vous n’êtes pas pressé de les organiser. Or, selon les
accords de Ouagadougou de janvier 2010, elles auraient dû se tenir au
maximum six mois après la présidentielle, un délai déjà dépassé.
Pourquoi ce retard ?
Elles auront lieu vers la fin du mois de novembre
2011. Mais je veux qu’elles soient le plus irréprochables possible. Il
faut donc procéder à un nouveau recensement électoral afin que les
paysans, dont beaucoup refusaient de s’inscrire sur les listes afin
d’échapper à l’impôt de capitation, puissent le faire. Prenons notre
temps, pour permettre à tous les Guinéens de voter et pour réduire au
minimum tous les risques de fraude. Les cartes d’électeur et les cartes
d’identité seront distribuées conjointement pour éviter les doubles
inscriptions, le vote des mineurs et autres aberrations. Vous savez, les
choses sont claires : je me suis battu pendant cinquante ans pour la
démocratie dans ce pays et je n’ai aucune leçon à recevoir dans ce
domaine de la part de ceux qui étaient de l’autre côté de la barrière.
J’ai gagné la présidentielle face à des gens qui disposaient de soutiens
financiers énormes. Aucun homme d’affaires ne m’a aidé. Je défie
quiconque de prouver le contraire.
Vous êtes à la fois le chef de l’État et le ministre
de la Défense, car vous avez voulu conduire vous-même la réforme de
l’armée. Pendant un quart de siècle, les militaires guinéens ont pris de
très mauvaises habitudes. Comment les en guérir ?
Je suis fier de l’armée guinéenne. Elle ne sort plus
dans les rues, elle a accepté que toutes ses armes lourdes soient
délocalisées à l’intérieur du pays, on ne la voit plus déambuler dans
les bars en tenue ni tenir des barrages dans la capitale. Un programme
de refonte est en cours qui prévoit notamment une réorientation du génie
militaire vers les activités de développement.
Le problème de l’armée guinéenne aujourd’hui, ce n’est plus son
comportement mais sa composition : il y a plus de gradés que d’hommes de
troupe, et certains militaires sont d’active depuis – tenez-vous bien –
1952 ! Des mises à la retraite accompagnées s’imposent donc. Elles
concernent pour l’instant 4 200 hommes et entrent dans le cadre général
de l’assainissement de la fonction publique. Sachez qu’en à peine un
mois d’enquête sur le terrain, 8 800 fonctionnaires touchant un double
salaire et 1 000 fonctionnaires décédés dont les émoluments étaient
toujours versés – et donc détournés – ont été détectés. Et sans doute
n’est-ce là que la partie émergée de l’iceberg. Pour conclure sur
l’armée guinéenne : le peuple n’en a plus peur. C’est un progrès
décisif. Et elle se rend compte d’elle-même que la démocratie est la
meilleure chose qui puisse lui arriver. Elle est à nouveau considérée,
respectée, aimée.
Quelles sont vos relations avec votre prédécesseur, le général Sékouba Konaté ?
Je n’ai aucun contentieux avec le général. J’ai
toujours dit et je répète qu’on lui doit les élections en Guinée.
Certes, la gestion du pays lorsqu’il était président n’a pas toujours
été au-dessus de tout soupçon. Mais Sékouba Konaté n’était pas Premier
ministre et il ne cessait de dire : « Je ne suis pas un économiste, je
signe tous les contrats que vous me présentez, mais vous vous
expliquerez avec celui qui me succédera. » Il ne connaissait rien à ces
histoires financières ou minières. Je ne le considère donc pas comme
responsable de ces contrats léonins que nous remettons en cause
aujourd’hui. Les vrais coupables, ceux qui ont guidé sa main, tentent de
le dresser contre moi pour se protéger. Ils lui font croire que je le
vise. À tort. Sékouba est sorti grandi de l’Histoire, je ne lui reproche
rien et il le sait.
Vous avez rencontré le capitaine Dadis Camara à
plusieurs reprises – la dernière fois le 7 avril, à Ouagadougou.
Apparemment, il veut rentrer en Guinée et cette perspective vous gêne.
Pourquoi ?
Beaucoup de gens parlent à la place de Dadis. Il n’a
émis aucune exigence de ce type et je n’ai aucun problème avec lui. Il y
a peu, certaines personnes ont voulu créer un mouvement pour le retour
de Dadis Camara en Guinée. Savez-vous ce qu’il m’a dit ? « Il faut les
faire arrêter, ils ne me représentent pas ! »
Dadis Camara est dans le collimateur de la Cour
pénale internationale (CPI) pour sa responsabilité dans le massacre du
28 septembre 2009 à Conakry. Pour vous, c’est un vrai casse-tête…
Ce que je dis à qui veut l’entendre à ce sujet, c’est
qu’il faut faire preuve de souplesse. La Guinée est fragile, elle sort
de vingt-six ans de régime militaire, il faut être prudent, ne pas jeter
des paroles en l’air.
Nous allons organiser, le moment venu, une conférence
« vérité et réconciliation », je m’y suis engagé. Mais nous devons
auparavant nous assurer que les Guinéens soient capables d’entendre et
de pardonner.
Pour cela, des comités de sages et de religieux sont
progressivement mis en place dans les préfectures afin de sensibiliser
le peuple sur la nécessité de revisiter notre histoire et notre mémoire.
Il n’y a pas eu que le 28 septembre, il y a eu Sékou Touré, le camp
Boiro, les morts de la IIe République, etc. Tout cela incite à la
circonspection, afin que l’exercice de réconciliation ne débouche pas
sur son contraire : la haine et un surcroît de division.
La CPI entend-elle ce raisonnement ?
La CPI n’intervient que par défaut, quand la justice nationale ne joue pas son rôle. Ce qui, je l’espère, ne sera pas le cas.
Le franc guinéen ne repose plus sur grand-chose, et
certains de vos pairs – Blaise Compaoré et Amadou Toumani Touré par
exemple – vous recommandent d’intégrer la zone CFA. Comptez-vous suivre
leur conseil ?
C’est un sujet délicat. Je ne me pose que les
problèmes que je suis en mesure de résoudre. Pour l’instant, mon
problème est de redresser l’économie et de rendre crédible notre
monnaie.
Cependant vous n’écartez pas cette perspective…
Je vous dis que je m’attelle aux problèmes immédiats. Quand ils seront résolus, je réfléchirai au reste.
Le franc guinéen, c’est un peu un bijou de famille. Mais le bijou est passablement terni.
La monnaie concerne tout le peuple, c’est vrai, et
toute décision la concernant doit être prise collectivement. Il faudra
donc un débat national et c’est le peuple qui tranchera.
La polémique soulevée par la concession au groupe
Bolloré du terminal à conteneurs du Port autonome de Conakry se
poursuit. On vous reproche maintenant d’avoir accordé à Bolloré
l’exclusivité sur l’ensemble des opérations portuaires, ce qui en fait
de facto un monopole privé. Qu’avez-vous à répondre ?
Que tout cela est faux. Le directeur général du port a
cru bon de signer avec le groupe Bolloré une convention d’assistance
concernant la gestion du port autonome conventionnel et ce sans en
informer le ministre des Transports. Quand nous nous en sommes aperçus,
nous avons immédiatement annulé cette convention. Bolloré ne gère que
l’activité conteneurs, le chemin de fer et un port sec, c’est tout. Pour
le reste, il n’est même pas demandeur.
Vous vous êtes donné cinq ans pour sortir la Guinée
de la grande pauvreté et assurer son autosuffisance alimentaire.
N’est-ce pas ambitieux ?
Le meilleur plan de développement qui ait été conçu
pour ce pays date de 1955. Il est l’œuvre du gouverneur français de
l’époque, Roland Pré, qui, au sortir de la guerre d’Indochine, s’était
juré de faire de la Guinée le grenier à riz de l’Union en remplacement
du Tonkin. C’était donc possible. Par la suite, la paysannerie a été
totalement abandonnée alors que la Guinée, comme l’avait bien perçu
Roland Pré, est non seulement un scandale géologique mais aussi
agricole.
J’ai conclu un pacte avec les paysans : l’État va les
aider et ils vont produire jusqu’à l’autosuffisance et au-delà, afin
que nous devenions exportateurs. Les sociétés étrangères sont les
bienvenues si elles encadrent et soutiennent nos paysans, mais nous ne
vendrons pas nos terres comme à Madagascar. Il faut que ce soit clair.
Comment relever un pays sans État ?
C’est tout le défi. Mais l’État guinéen renaît, on le
voit chaque jour. Regardez l’aéroport Gbessia de Conakry. C’était un
haut lieu de trafics et de rackets en tout genre. Aujourd’hui, l’ordre y
règne. Autre plaie : le trafic de drogue, qui était organisé au plus
haut niveau avec des hélicoptères venant de Guinée-Bissau. Désormais,
avec l’aide technique des Américains et des Français, j’ai rattaché
directement à la présidence la brigade antidrogue. Ils arrêtent jour et
nuit des trafiquants et ne rendent compte qu’à moi. Sur un autre plan,
nous sommes en train de payer tous nos arriérés auprès des organisations
internationales et nous réglons les frais des ambassades, dont certains
sont impayés depuis près d’un an. Je ne veux plus d’ambassadeurs
guinéens clochards, à qui l’on coupe l’eau et l’électricité. C’est une
question de dignité.
Vous êtes sur tous les fronts, vous voulez tout faire vous-même. Ne risquez-vous pas de vous épuiser rapidement ?
Je n’ai pas, pour l’instant, d’autre choix. J’ai un
Premier ministre et un gouvernement qui travaillent, mais les mauvaises
habitudes prises sont telles que je dois tout surveiller et tout
vérifier. Je ne tolère aucune velléité de corruption, j’ai donc l’œil
sur tout. C’est vrai que cela me fatigue, mais qui d’autre que moi peut
mener cette bataille des mentalités ? Je ne gère pas des Guinéens venus
de la planète Mars, je gère les Guinéens tels qu’ils sont.
« Je suis pour des solutions africaines excluant le
recours à la force », aviez-vous dit à propos des crises ivoirienne et
libyenne. Manifestement, vous n’avez pas été entendu…
Sur la Libye, ma position est celle de l’Union
africaine : un cessez-le-feu suivi d’un débat national. Sur la Côte
d’Ivoire, j’aurais préféré que la solution permettant au président élu
Alassane Ouattara d’exercer son pouvoir soit purement africaine. Dans
l’un et l’autre cas, notre incapacité à résoudre nous-mêmes nos
problèmes est préoccupante.
Voir Laurent Gbagbo arrêté et filmé en maillot de corps, cela vous a choqué ?
Je préfère ne pas commenter cela.
« La Guinée est de retour », aimez-vous à dire. Mais la Côte d’Ivoire aussi. Comment exister à côté d’un tel voisin ?
Je ne me compare à personne. Je sais simplement qu’à
la fin des années 1950 la Guinée était, de toutes les colonies
françaises, celle qui paraissait promise au plus bel avenir. Nous
n’avons pas su faire fructifier ce capital. Mais le capital est toujours
là.
Vous n’êtes pas, chacun le sait, un homme d’argent.
Mais que faites-vous pour éviter que votre entourage familial
s’enrichisse indûment ?
Je connais ce risque et je sais que la famille est le
talon d’Achille de beaucoup de chefs d’État. Aussi ai-je décidé, tous
les Guinéens l’ont remarqué, que mon épouse vive dans un autre domicile
que le mien. Elle est de Kankan, fief de nombreux gros commerçants
malinkés, qui, tout naturellement, viennent lui rendre visite. Je ne
veux pas que l’on dise que j’ai remplacé les commerçants peuls par des
commerçants malinkés que je recevrais en catimini. Comme cela, les
choses sont claires. Chez moi, je ne reçois que sur rendez-vous et vous
n’y verrez pas d’hommes d’affaires.
Est-ce suffisant pour éviter les tentations, les influences ?
Vous voulez que je sois plus clair encore ? J’ai
interdit à mon épouse de faire de la politique et des affaires. Le jour
où elle m’apportera un dossier de faveur, je divorcerai sur-le-champ.
Elle le sait et je l’ai dit assez fort pour que chacun le sache.
Il n’empêche : votre fils Mohamed serait, selon la rumeur, impliqué dans certains dossiers économiques…
C’est faux. Mon fils n’est pas un homme d’affaires ni
un entrepreneur en quoi que ce soit. Il a fait des études aux
États-Unis, il a travaillé au Brésil puis à Londres et il est revenu
m’aider ici après le décès de mon frère. Je parle mal l’anglais, lui est
anglophone, aussi lui ai-je demandé de me servir de traducteur et de
suivre pour moi les dossiers de coopération avec l’Afrique du Sud de mon
ami Jacob Zuma. Pour le reste, je n’ai aucun homme d’affaires dans ma
famille et je ne donne de mandat à personne pour me représenter. Le
temps des ambassadeurs itinérants exhibant des mandats de la présidence
guinéenne pour se remplir les poches ou des trafiquants colombiens munis
de passeports diplomatiques est définitivement révolu. Je reçois
moi-même les investisseurs et tous savent que je suis incorruptible.
Dans cinq ans, à quoi ressemblera la Guinée ?
À ce qu’elle aurait dû être si nous avions réussi
notre indépendance. Une Guinée avec des chemins de fer, des routes, des
barrages, des logements sociaux. Une Guinée avec un nouveau Guinéen pour
qui la valeur porteuse ne sera plus la magouille mais le travail. Une
Guinée fière, débarrassée des mensonges, des jalousies et de
l’autodépréciation. Avec l’aide de Dieu, le renouvellement des
générations et le retour progressif de la diaspora, nous y parviendrons.
Vous ne rêvez pas un peu ?
Ce sont les rêveurs qui font avancer le monde.
Dernier livre lu ?
J’en ai lu un avant-hier dans l’avion de retour d’Abou Dhabi. Mais je ne vous dirai pas lequel.
Pourquoi ?
Laissez-moi une part de secret.
Même off the record ?
On se connaît depuis suffisamment longtemps. Vous savez bien que je ne crois pas au off avec les journalistes.
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Propos recueillis à Conakry par François Soudan